Socfin/Bolloré : une enquête internationale confirme les accusations des communautés dans les plantations en Afrique et en Asie
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Communiqué de presse collectif
Depuis des décennies, les communautés riveraines des plantations du groupe Socfin dans le monde entier dénoncent les pratiques abusives de l'entreprise, qui vont de l'accaparement des terres à la violence sexuelle. Aujourd'hui, leurs plaintes ont été validées par une source surprenante : les propres consultants rémunérés de Socfin, qui ont conclu que la plupart des plaintes sont au moins partiellement fondées et que la grande majorité des abus sont de la responsabilité de l'entreprise.
La Fondation Earthworm vient de terminer une enquête de deux ans sur 139 plaintes déposées par des communautés impactées par les plantations de palmiers à huile et d’hévéas du groupe Socfin en Asie et en Afrique. Socfin est un grand conglomérat détenu par deux riches familles européennes : les Fabri de Belgique et les Bolloré de France. En activité depuis plus de 100 ans, Socfin contrôle aujourd'hui 372 000 hectares de terres agricoles dans 10 pays, où elle est confrontée à une longue histoire de résistance de la part des communautés touchées. Earthworm, une société de conseil basée en Suisse qui aide les entreprises à respecter les normes sociales et environnementales, a été engagée pour mener cette enquête au nom de Socfin.
Les problèmes examinés par Earthworm allaient des rapports sexuels forcés et des violations du droit du travail dans les exploitations de Socfin à l'accaparement des terres, aux expulsions involontaires, à la restriction des déplacements des villageois, ou encore à la destruction de sites sacrés et à la pollution de l'eau potable. L'enquête les a conduits dans 12 plantations au Cambodge, au Cameroun, en Côte d'Ivoire, au Liberia, au Nigeria et en Sierra Leone, représentant 87 % des terres détenues par Socfin1. Certaines de ces plantations font partie de chaînes d'approvisionnement mondiales des entreprises telles que Nestlé et Goodyear2.
Leurs conclusions sont cinglantes : 59 % des griefs des communautés ont été confirmés comme "fondés" ou "partiellement fondés", la plupart d'entre eux relevant de la responsabilité propre de l'entreprise. Une petite fraction (30 %) a été rejetée comme "infondée". Dans son ensemble, cela signifie que l'entreprise elle-même a dû admettre que ces griefs historiques, dont certaines communautés souffrent depuis plus de 10 ou 20 ans, sont valables et vrais.
Les abus quotidiens autour des plantations prennent de nombreuses formes. Les problèmes fonciers vont des infractions légales ou des expulsions forcées aux indemnisations non versées ou aux injustices historiques qui sous-tendent des titres fonciers ou des baux. La violence à l'égard des femmes se traduit par le harcèlement commis par des ouvriers des plantations, l'extorsion de faveurs sexuelles en échange d'un travail ou pour simplement traverser la plantation, voire le viol de mineures.
Il s'agit de problèmes structurels et généralisés. Sur les 12 plantations visitées, Earthworm a confirmé des violations du droit du travail et des effets négatifs sur les moyens de subsistance des populations dans neuf d'entre elles, des conflits fonciers et une dégradation de l'environnement dans huit d'entre elles, des violences sexuelles commises par le personnel des plantations dans sept d'entre elles et la destruction de sites sacrés dans quatre d'entre elles.
“En d'autres termes,” constate Emmanuel Elong de la Synergie nationale des paysans et riverains du Cameroun (Synaparcam), “les données ont confirmé que, pour nous, les communautés sur le terrain, le système de production de Socfin est foncièrement de l'extractivisme.”
Ces résultats sont accablants pour l'une des plus anciennes et des plus grandes sociétés de plantation du monde, créée à l'époque coloniale et fonctionnant toujours de manière coloniale. L’actionnaire clef de Socfin, le groupe Bolloré, ainsi que ses financiers sont complices dans la mesure où ils ont bénéficié financièrement ou aidé à financer les activités de l'entreprise qui ont contribué à ces préjudices. Il s'agit notamment de la Société financière internationale (Banque mondiale), de banques telles que BNP Paribas ou UBS, et de certains gouvernements des pays hôtes. Même les actionnaires de Bolloré, comme le Fonds de pension norvégien, ont tiré la sonnette d'alarme sur les liens entre le groupe et ces pratiques3.
“Ce sont les femmes qui souffrent le plus de ces plantations”, a déclaré Aminata Finda Massaquoi, du Women's Network Against Rural Plantations Injustice (Réseau des femmes contre l'injustice des plantations rurales) en Sierra Leone. "À Malen, où Socfin opère, les femmes ont perdu leurs propres terres, qui leur procuraient une source régulière de nourriture et de revenus, ainsi que l'accès aux bois où elles obtenaient leurs médicaments.”
Nombre de ces problèmes remontent à plusieurs décennies. Des communautés, des journalistes et des organisations de la société civile qui les ont dénoncés par le passé ont été arrêtés, poursuivis en justice et harcelés. Par conséquent, nombreux sont ceux qui ne croient pas en la volonté de l'entreprise de résoudre ces problèmes par elle-même.
Parallèlement, un examen récent du fonctionnement de la Fondation Earthworm soulève des questions critiques quant à son degré d'indépendance par rapport à des entreprises telles que Socfin4. Tout aussi important, en réponse aux résultats de l’enquête, Socfin a conçu ses propres "plans d'action" pour résoudre les problèmes vérifiés par Earthworm, mais sans l'apport ou le contrôle des communautés. Il s'agit là d'une recette sûre de plus d'irresponsabilité et plus de dommages.
Premiers signataires :
- Aceh Wetland Forum, Indonésie
- Advocates for Community Alternatives, Ghana/EUA
- Alliance for Rural Democracy (ARD), Liberia
- Apel Green Aceh, Indonésie
- Association des Femmes Riveraines de la Socapalm Edéa (AFRISE), Cameroun
- Bunong Indigenous People’s Association (BIPA), Cambodge
- Désarmer Bolloré, France
- FIAN Belgium
- FIAN Suisse
- GRAIN, international
- Green Advocates International, Liberia
- Green Scenery, Sierra Leone
- HEKS, Suisse
- Jeunes Volontaires pour l’Environnement - Côte d’Ivoire
- Jeunes Volontaires pour l'Environnement - Ghana
- Justice Ensemble, France
- Le Collectif pour la défense des terres malgaches - TANY, Madagascar/France
- Les Soulèvements de la terre, France
- Look Green Care Foundation (LGCF), Nigeria
- Malen Affected Land Owners and Users Association (MALOA), Sierra Leone
- Mouvement mondial pour les forêts tropicales (WRM), Uruguay
- Natural Resource Women Platform ( NRWP), Liberia
- OnEstEnsemble, Cameroun
- PUSAKA Bentala Rakyat, Indonésie
- ReAct Transnational, France
- Réseau des Acteurs du Développement Durable (RADD), Cameroun
- Rettet den Regenwald e.V. (Sauvons la Forêt), Allemagne
- Riverains Ensemble, France
- Solifonds, Suisse
- SYNAPARCAM, Cameroun
- The Oakland Institute, États-Unis d’Amérique
- Transnational Palm Oil Labour Solidarity Network (TPOLS), international
- WALHI Sumatera Utara, Indonésie
- Women’s Network against Rural Plantation Injustice (Wonarpi), Sierra Leone
Footnotes
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Les rapports de la Fondation Earthworm sont dispersés sur son site web : https://earthworm.org/. Nous les avons compilés ici : https://drive.google.com/drive/folders/1lVLN2EoZIhRd8HLQjQVBF9wb33jC_uq6?usp=sharing ↩
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Voir Sheridan Prasso, "The Rubber Barons" ; Bloomberg, 16 avril 2025, https://www.bloomberg.com/features/2025-socfin-plantations. Réponse de Socfin : https://www.bloomberg.com/letters/2025-05-06/socfin-responds-to-bloomberg-story-on-rubber-plantations ↩
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Voir la déclaration du Conseil d'éthique du fonds de pension norvégien du 26 juin 2024, https://etikkradet.no/compagnie-de-lodet-se-and-bollore-se/. Par ailleurs, au moins 22 institutions financières ont exclu des filiales de Bolloré et/ou de Socfin, dans de nombreux cas en invoquant des violations des droits humains : https://financialexclusionstracker.org/exclusion-list?company_name=Bollor%C3%A9 ↩
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Voir World Rainforest Movement, "NGOs at the service of plundering territories : the Earthworm Foundation case", 23 avril 2025 [^h]:tps://www.wrm.org.uy/bulletin-articles/ngos-at-the-service-of-plundering-territories-the-earthworm-foundation-case) et la réponse d'Earthworm (https://earthworm.org/pages/earthworm-foundations-response-to-the-world-rainforest-movement-article). ↩