FAQ pour l'opération marque-pages contre Bolloré

Pour vous aider dans vos discussions avec les libraires

Qui est Vincent Bolloré ?
Vincent Bolloré est un homme d'affaires français classé 8ème fortune française par le magazine Forbes. Il est l'héritier des papeteries Bolloré (créées en 1822), qu'il reprend en 1981 après avoir fait ses armes auprès d'un ami de sa famille : le banquier Edmond de Rothschild.

Issu de la bourgeoisie catholique traditionnaliste bretonne, il est le père de 4 enfants qui travaillent tous au sein de l'empire Bolloré : Sébastien est Directeur Général délégué de la Compagnie de l'Odet ; Yannick est président du conseil de surveillance de Vivendi, co-fondateur d'H20 Productions (la société de production de Cyril Hanouna) et PDG du groupe Havas (groupe de conseil et communication); Cyrille est PDG du Groupe Bolloré et Marie est présidente de Blue Systems (production de batterie).

Il se fera connaître durant toute sa carrière pour son talent d'investisseur multisectoriel (agrobusiness, pétrole, cinéma, communication, logistique, édition, médias, technologie...) mais aussi pour son management brutal et le pillage néocolonial des économies africaines, dont la majeure partie de sa fortune est issue.

La galaxie Bolloré se présente aujourd'hui comme une nébuleuse financière faite de multiples filiales et holdings

Pourquoi a-t-il investi dans le monde de l'édition ?
Fin 2023, le groupe Vivendi, propriété de Bolloré, a été autorisé par la Commission Européenne a racheté Hachette, leader français de l'édition et n°3 mondial, après avoir revendu Editis à Daniel Kretinsky, un autre milliardaire français.

Tout comme pour les médias qu'il détient, son objectif est moins de gagner de l'argent que de diffuser ses valeurs conservatrices et ses idées réactionnaires, racistes, homophobes, sexistes.

"Vivendi devient un leader mondial de la communication, des médias et du divertissement», se réjouit Yannick Bolloré.

Quelles maisons d'éditions détient-il ?
La liste des maisons d'édition peut être retrouvée, téléchargée et imprimée ici
Pourquoi cette concentration pose problème ?
"L'éditeur est celui qui a le pouvoir tout à fait extraordinaire d'assurer la publication, c'est-à-dire de faire accéder un texte et un auteur à l'existence publique" Pierre Bourdieu "Une révolution conservatrice dans l'édition", Actes de recherche en sciences sociales, 1999

Bien que le monde du livre soit particulier et qu'il est peut-être plus compliqué de contrôler le contenu des livres publiés, l'emprise de Bolloré sur la ligne éditoriale des médias dont il est propriétaire (le JDD, Europe 1, CNews, Canal+...) peut faire craindre qu'il ne fasse de même pour les maisons d'édition récemment acquises.

Pour rappel, plusieurs exemples : lors du rachat de plusieurs médias, Vincent Bolloré s'est illustré par un management brutal et le remaniement des lignes éditoriales à l'extrême-droite (la transformation d'I-Télé en CNews, provoquant une grève de 30 jours des journalistes et des licenciements ; l'arrivée de Geoffroy Lejeune, ancien directeur de rédaction de Valeurs Actuelles, à la tête du JDD) ; par la suppression d'émissions et de documentaires critiques (Special Investigation, Le Zapping, Les Guignols de l'info, etc) ; par la transformation des ondes en auditoire pour l'extrême droite durant les élections (exemple : la suppression brutale de l'émission de Sophie Davant remplacée par Cyril Hanouna le lendemain de la dissolution).

Les récents changements chez Fayard sont symptomaytique de cette volonté de mise au pas : arrivée de Lise Boëll à sa direction (éditrice de Zemmour et de Philippe de Villiers, surnommée "l'éditrice des réacs") qui publie dans la foulée le livre de Jordan Bardella et de Philippe de Villiers, installation de télévision diffusant CNews dans les locaux, publicités pour Sophia Aram, intimidations des salarié.es...

Ces ingérences entre Bolloré et le monde du livre ne sont pas nouvelles : on peut penser au livre de Guillaume Meurice, coécrit avec Nathalie Gendrot, qui avait été bloqué par Editis (le groupe appartenait encore à Bolloré pendant cette période).

Le problème réside également dans le fait que Bolloré détienne de nombreux médias (le JDD, Cnews, C8, Paris Match, Europe 1, JDNews...), qui lui permettent d'assurer la promotion des livres distribués. On a pu le constater lorsque Jordan Bardella a été invité sur tous les plateaux du milliardaire à l'occasion de la sortie de son livre.

Est-ce que ce n'est pas de la censure ?
La censure désigne l'interdiction partielle ou totale d'une oeuvre ou d'une communication avant ou après publication par une autorité (en France, seuls l'Etat ou la justice peuvent exercer ce pouvoir, et ce dans des conditions très restreintes depuis la loi du 18 juillet 1881).

En choisissant de ne pas prendre un livre dans son assortiment, une librairie n'exerce donc pas une censure, mais une liberté qui est au coeur de son métier : celui de faire des arbitrages, des choix concernant les livres à présenter dans son magasin parmi le million de références disponibles sur le marché.

Cet arbitrage peut être politique, comme dans le cas d'un escamotage des livres du groupe Hachette (non mise en avant de tout ou partie des livres de ce groupe, voire, boycott de certains ouvrages). Il n'empêche nullement l'accès aux livres, mais créé un contre-pouvoir dans un combat asymétrique.

Parce qu'il est important de rappeler ce que produit le groupe Bolloré, en possédant le premier groupe éditorial français (Hachette), qui concentre des maisons d'édition, un système de distribution et de diffusion et des points de vente du livre (Relay) ; en possédant plusieurs types de médias à forte audience, dont de la presse (JDD), de la radio (Europe 1, RFM), et de la télé (Canal+, C8, CNews) ; et en possédant des agences de communication (Havas). De la sorte, le groupe Bolloré s'assure le contrôle de l'intégralité de la chaîne du livre, en la transformant en un outil de propagande tentaculaire et extrêmement puissant, sans commune mesure, à ce stade, avec les capacités d'influence d'une librairie indépendante.

Parce qu'il est également important de rappeler que Vincent Bolloré utilise cette puissance de frappe pour faire avancer un projet politique réactionnaire, et ce d'une manière complètement assumée et décomplexée. Ses méthodes sont largement documentées par différent.es observateur.ices qui pointent la concentration médiatique du groupe Bolloré comme un danger pour la démocratie (voir infra : Pourquoi cette concentration pose problème ?).

A ce titre, voilà ce que disait le milliardaire devant la commission d'enquête parlementaire sur l'attribution des chaines TNT : "Si je ne crois pas à quelque chose, je ne vais pas essayer de le mettre sur mes antennes. [...] en plus je suis démocrate-chrétien, donc ce serait compliqué de mettre des choses auxquelles je ne crois pas". Illustrant ce propos, on peut rappeler que ces chaines ont été rappelées à l'ordre 52 fois en 12 ans, et qu'elles sont les plus condamnées par l'Arcom (l'autorité publique française garante de la liberté de communication), pour diffusion de fausses informations, manque de pluralisme, insultes multiples, climatosepticisme, aggressions sexuelles en direct, etc. Vincent Bolloré est ainsi un spécialiste de la désinformation et du blocage de toutes les idées qu'il ne partage pas. Il est notoirement connu pour empêcher la diffusion sur ses chaînes de toute enquête et contenu critique sur les activités de son immense empire industrie.

Le comportement victimaire et le double discours autour de la censure et de la liberté d'expression par le groupe Bolloré et ses défenseurs ne reprend en fait qu'une vieille recette de l'extrême-droite. Il est complètement fallacieux de crier à la censure lorsqu'on possède autant de pouvoir et de canaux d'expression. Il est complètement déplacé de crier à la censure losqu'on s'organise méthodiquement pour bannir des médias de masse les idées critiques et contenus culturels émanicipateurs antisexistes, antiracistes, écologistes, ou appelant à plus de justice sociale.

Ainsi, si les accusations de censure pointent plutôt une atteinte à la liberté d'expression et une tentative de contrôle de l'information, c'est Vincent Bolloré et son groupe qui en sont fautifs, et le choix d'une librairie de ne pas mettre en avant ou refuser de vendre certains livres du groupe Hachette s'apparente plutôt à une tentative légitime d'agir à son échelle contre ce projet délétère. Il est parfaitement légitime à contrario de refuser de participer à la diffusion massive de contenus qui justifient de nouveau l'oppression et les discriminations à l'égard d'immenses pans de l'humanité.

Tout ce qui est publié par ces maisons d'édition n'est pas d'extrême droite ou problématique, alors pourquoi boycotter l'ensemble ?
Comme les libraires de la tribune contre l'empire Bolloré l'ont expliqué, l'idée n'est pas d'assimiler l'ensemble des auteurs ou autrices ni même des équipes travaillant chez Hachette à des personnes d'extrême-droite mais d'envoyer un signal fort et d'informer le public des agissements du groupe et du danger que cela représente pour notre société.

L'extrême-droite étant aux portes du pouvoir, il est de notre responsabilité de s'organiser collectivement pour l'empêcher de gagner encore du terrain. L'entreprise de conquête de nos imaginaires de Bolloré doit être stoppée afin d'empêcher notre pays de basculer dans sa vision capitalo-fasciste. De fait si la plupart des livres du groupe Hachette ne posent pas du tout les mêmes problèmes politiques, les bénéfices qui en sont tirés et leur crédit contribue à financer la conquête culturelle de Bolloré ainsi son assise sur le marché au dépend d'une édition libre.

Est-ce que le problème c'est vraiment Vincent Bolloré ?
Vincent Bolloré et l'usage qu'il fait des médias et du monde de l'édition ne sont évidemment pas l'unique problème dans le monde du livre et, plus largement, dans la société. La concentration capitalistique lui permet, à lui et à la poignée de milliardaires qui détiennent l'immense majorité du paysage médiatique et éditorial, de disposer d'un tel pouvoir.

Aujourd’hui, "cinq groupes d’édition, Hachette, Editis, Madrigall (Gallimard), Media-Participations et Albin Michel, représentent plus de 75 % du chiffre d’affaires de l’édition. Et si l’on ajoute les quatre suivants – Lexis-Nexis, Lefèbvre, Glénat et Panini –, c’est plus de 90 % du chiffre d’affaires du secteur qui se trouve monopolisé par dix groupes d’édition ! 4 000 maisons, petites ou moyennes, se partagent les 10 % restants..." https://www.nouvelobs.com/tribunes/20241028.OBS95546/la-bollorisation-de-l-edition-signe-la-concentration-et-l-extreme-droitisation-du-secteur.html

Kretinsky, détenteur du groupe éditis avec entre autre les éditions Laffont, le Robert, Nathan, Plon ne cache pas lui non plus ses idées ultra-conservatrices et sa volonté d'influence.

Cibler Bolloré ne doit pas revenir à désigner l'arbre qui cache la forêt mais plutôt à pointer du doigt le problème de la concentration et à faire front commun contre la conquête du monde culturel et médiatique par l'extrême droite. De manière générale cette concentration du livre au main de groupe capitaliste entraîne un formatage commercial et stéréotypé des contenus qui réduit progressivement la possibilité de diffusion d'idées critiques et subversives, de formes nouvelles et créatives.

Les objectifs de l'escamotage des maisons d'éditions de Bolloré ne sont donc pas d'affaiblir Hachette pour renforcer d'autres grands groupes éditoriaux, mais de soutenir des maisons d'éditions indépendantes, pour favoriser une plus grande pluralité dans le monde de l'édition et s'assurer le maintien de vecteurs d'idées émancipatrices.

Boycotter les maisons d'édition a-t-il vraiment un effet ? Pourquoi demander à la clientèle de boycotter alors que je propose quand même leurs livres ?
L'emprise de Hachette Livre se retrouve sur tous les segments de l'édition (scolaire et parascolaire, littérature, illustré, fascicules, dictionnaires, jeunesse, livres de poche, guide de voyage, etc) ; il est donc extrêmement difficile de boycotter l'intégralité des livres vendus par Bolloré. Par ailleurs, l'intégralité ou presque des points de vente du livre aujourd'hui dépendent d'Hachette et ne pourraient pas s'en passer du jour au lendemain. Il n'est pas rare que plus de 20% du chiffre d'affaires d'une librairie dépende du groupe Hachette. Pour les 100 librairies qui ont appelé à "escamoter" les livres de Hachette, cela peut aller de ne pas leur faire de place sur les devantures ou les tables, limiter le nombre d'exemplaires vendus ou jusqu'à boycotter totalement ces maisons d'édition.

Au delà d'impacter le chiffre d'affaires du groupe Hachette et donc les recettes de l'empire culturel de Bolloré, l'objet de cette campagne est avant tout de visibiliser cette mainmise auprès du public, initier une réflexion sur le fonctionnement économique et politique de la chaîne du livre et les dangers du glissement actuels de certains pans de ce secteur vers l'appui aux idéologies d'extrême droite. Il s'agit de montrer que lorsque l'on s'apprête à faire un achat en librairie on a encore et toujours le choix d'un bon livre édit par une maison d'édition indépendante plutôt que par Hachette. Nous aurons plus que jamais besoin d'un vitalité de ces maisons d'éditions et librairies indépendantes à l'avenir.

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